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Une nouvelle feuille de route pour une nouvelle mobilité

Annekatrien Verdickt, Gideon Boie, Jens Aerts


12/05/2020, Le Soir

Lettre ouverte au Conseil de sécurité et au Gees sur la nécessité d’un plan de relance de la mobilité.

Parmi les réponses à la crise sanitaire du Covid-19, la dimension spatiale est largement sous-estimée. Pourtant, notre cadre de vie et nos villes ont été conçus au fil des siècles comme une forme de « vaccin spatial ». Un cadre de vie sain est défini par des normes, des règles et des plans. Des équipements de base sont disponibles collectivement et individuellement et les parcs, places et espaces verts assurent la santé socio-émotionnelle. Au cours des dernières semaines, il est apparu évident que les quartiers denses manquent d’espace pour pouvoir respecter la distanciation physique. Des mesures locales sont prises çà et là, mais une feuille de route nationale manque cruellement.

Des urbanistes oubliés

Malgré les mises en garde face à un problème de mobilité imminent, la stratégie de sortie a été élaborée sans tenir compte des implications spatiales. La Première ministre Sophie Wilmès a demandé que les transports publics soient évités le plus possible et que la voiture soit utilisée comme alternative. Les modes actifs n’ont pas été privilégiés et n’ont été que brièvement mentionnés. L’attention limitée portée à l’urbanisme et à l’aménagement du territoire apparaît également clairement lorsque l’on examine la composition du Gees. Les urbanistes y font défaut et les ministres de la Mobilité et de l’Environnement restent eux aussi complètement à l’écart. Les groupes de travail qui les accompagnent sont composés d’économistes et d’entrepreneurs.

Des effets en chaîne

Pourtant, la question se pose de savoir comment une reprise économique peut être mise en place sans prendre en compte le transport des personnes et des marchandises. Les images du trafic congestionné après le redémarrage dans les villes chinoises sont un premier signe de ce qui arrivera si nous ne prenons pas de mesures fortes pour décourager l’utilisation de la voiture. Il est important de noter que les routes encombrées ne sont pas seulement un problème de mobilité, mais qu’elles génèrent une chaîne d’effets négatifs dans plusieurs domaines : la santé, l’économie, la qualité de vie et la sécurité routière.

Un problème insidieux

La mobilité est avant tout une question de santé publique. En Europe, la pollution atmosphérique est à l’origine d’environ 500.000 décès prématurés par an, dont 9.300 en Belgique. Les valeurs recommandées par l’OMS pour les particules fines sont dépassées dans une grande partie de la Belgique. La valeur limite européenne pour le dioxyde d’azote n’est pas respectée dans les endroits où la circulation est dense. Pourtant, cette valeur limite est juridiquement contraignante et les différentes autorités de notre pays sont déjà poursuivies en justice pour leur approche laxiste concernant l’amélioration de la qualité de l’air. Il est donc difficile de comprendre pourquoi la crise sanitaire du coronavirus est combattue sans prendre en compte cet autre problème de santé, beaucoup plus insidieux et tout aussi mortel. De plus, des études (non-vérifiées par des pairs) montrent que la pollution atmosphérique peut affaiblir un patient face au virus et augmenter le risque d’en mourir. Un redémarrage imprudent en termes de mobilité risque d’augmenter la mortalité lors de la prochaine vague de Covid-19.

Un risque de congestion totale

Ensuite, la mobilité est en lien direct avec l’économie. Un redémarrage efficace de l’économie nécessite un accès facile aux commerces, aux entreprises et aux bureaux. Dans une ville comme Bruxelles, il y a en moyenne 5,4 millions de trajets par jour, dont 35 % en transports publics. La circulation automobile est déjà fortement perturbée un jour de travail normal. Si 1,9 million de trajets supplémentaires sont effectués en voiture après la sortie de crise, le risque de congestion totale du trafic est inéluctable.

Pour un autre espace public

La mobilité détermine également la qualité de vie dans l’espace public. La ville perd bon nombre de ses atouts pendant le confinement, tels que les nombreux événements culturels, les bars et terrasses animés et la diversité des magasins. Mais le lockdown signifie aussi moins de voitures et offre littéralement de l’espace en plus aux habitants confinés chez eux avec des enfants, dans une petite maison sans jardin ni terrasse. Les semaines de quarantaine exigent des efforts particuliers pour beaucoup d’habitants de nos villes. Il n’est donc pas souhaitable que l’espace public soit à nouveau occupé unilatéralement par la voiture.

Encourager la mobilité douce pour se rendre à l’école

Enfin, la sécurité routière fait défaut en Belgique. Lorsque les écoles rouvriront le 18 mai, de nombreux enfants se retrouveront à nouveau sur le chemin de l’école aux heures de pointe. Globalement, les accidents de la circulation sont devenus la première cause de décès chez les 4 à 25 ans. Le paradoxe est que le manque de sécurité routière encourage de nombreux parents à amener leurs enfants à l’école en voiture, ce qui les amène à eux-mêmes entretenir cette insécurité routière. Ce cercle vicieux menace de se transformer en spirale négative si désormais la voiture est également présentée comme le moyen de transport le plus sûr pour faire face au coronavirus, au détriment du transport public.

Deux recommandations

Ces quatre arguments démontrent que le Conseil National de Sécurité doit prendre en compte la question de la mobilité lors de l’élaboration de la stratégie de sortie, avec l’aide d’experts en mobilité, d’urbanistes et d’aménageurs du territoire. Nous formulons ici déjà deux recommandations.

1. Privilégier les transports actifs

Tout d’abord, la communication du gouvernement fédéral doit souligner l’utilisation active de nos rues comme premier choix, pour ainsi suivre la ligne directrice de l’OMS qui dit que « chaque fois que cela est possible, il faut envisager de faire du vélo ou de marcher ». Il est nécessaire que le gouvernement fédéral appelle clairement à préférer les modes de transport actifs à l’utilisation de la voiture individuelle. Il s’agit d’une mesure qui a un impact positif sur la santé grâce à l’exercice physique et qui contribue à limiter la propagation du virus. Dans le même ordre d’idées, les transports publics ne peuvent pas être stigmatisés, mais il est plutôt nécessaire d’appeler à utiliser les transports publics de manière sûre.

2. Developper les réseaux intra/extra-muros

Deuxièmement, le gouvernement doit rédiger des lignes directrices pour permettre la distanciation physique dans l’espace public. Il s’agit notamment d’augmenter la capacité des pistes cyclables et des trottoirs, d’éliminer les chaînons manquants dangereux et de relier le réseau express vélo aux réseaux cyclables des villes et des communes. Des parkings « Car&Bike » en périphérie des villes sont nécessaires pour accueillir le trafic provenant de l’extérieur de la périphérie directe. La création de woonerfs, de zones de rencontre, de zones piétonnes et de filtres bien réfléchis peut réduire considérablement l’impact du trafic des navetteurs sur la ville et améliorer considérablement la qualité de vie. L’engagement en faveur des équipements de proximité et de la proximité locale encourage les gens à se déplacer à pied ou à vélo. Supprimer les places de parking devant les magasins ou rendre les rues commerçantes piétonnes permet de ne pas devoir choisir entre la santé et la sécurité routière quand les files d’attente sur les trottoirs s’imposent.

Sortir du chaos

Dans la stratégie de sortie, de nombreuses décisions sont prises sans étudier l’impact spatial.

Le Covid-19 bouleverse les équilibres existants, ce qui amène la population à se comporter et à se déplacer différemment. Ce changement de paradigme mérite une gestion spatiale rapide et décisive qui permette d’éviter le chaos et donne à l’économie et à la société toutes les chances de bien redémarrer.

*Cosignataires :

Maîtres architectes : Leo Van Broeck, Chantal Dassonville (Wallonie-Bruxelles), Kristiaan Borret (Bruxelles), Georgios Maïllis (Charleroi),  Christian Rapp (Architecte urbain Anvers), Peter Vanden Abeele (Architecte urbain, Gand), Stefan Devoldere (Atelier de ville, Ostende).

Anciens Maîtres architectes : Olivier Bastin (1st Bouwmeester maître architecte Brussels & président Fédération Architectes Belgique), Peter Swinnen (ere-Vlaams Bouwmeester, CRIT), Bob Van Reeth (architect, eerste Vlaams Bouwmeester 1998-2005), Marcel Smets (Emeritus hoogleraar Stedenbouw KU-Leuven -Vlaams Bouwmeester 2005-2010).

Docteurs et scientifiques : Benoit Nemery (Emeritus hoogleraarToxicologie & Arbeidsgeneeskunde), Lieven Annemans (professor Gezondheids- en welzijnseconoom UGent en VUB), Marc Goethals (Cardioloog OLV ziekenhuis Aalst), Thomas Vanwolleghem (UAntwerpen, Universitair Ziekenhuis Antwerpen), Wouter Arrazola de Oñate (arts-onderzoeker respiratoire volksgezondheid)

Organisations : Ann Verhetsel (Vlaamse vereniging van Ruimte en Planning), Audrey Contesse (Institut Culturel d’Architecture Wallonie-Bruxelles), Aurélie Willems (GRACQ – Les Cyclistes Quotidiens), Bernard Govaert (Netwerk Duurzame Mobiliteit), Bert Cornillie (Straten Vol Leuven), Boris Nasdrovisky (Tous à Pied), Dave Van Meel (Greenpeace Belgium), Delphine Morel & Katia Xenophontos (Bruxsel’Air), Eva Jacobs & Marlies (Filter Café Filtré Antwerpen), Els Van Den Broeck en Jan Christiaens (Mobiel 21), Fenna Bouve (30max), François Schreuer (urbAgora, revue Dérivations), Frank D’hondt (Secretaris-Generaal International Society of City and Regional Planners -ISOCARP), Geert Van Waeg (Johanna vzw), Jacques Timmerman, (ACE Architects’s Council of Europe), Jan Vilain (Infopunt Publieke Ruimte), Jente Somers (Critical Mass Antwerpen), Johan Van Reeth (Leuven2030, BUUR), Joris Scheers (ECTP – Conseil Europeene des Urbanistes), Jouri De Pelecijn (Filter Café Filtré Atelier), Kaatje Aerts & Ine Vos (Filter Café Filtré Brussel), Lies Craeynest (Clean Air BXL), Linda De Boeck (Vlaams Instituut Gezond Leven), Malte Arhelger (Critical Mass Brussels), Manu Claeys (StRaten-Generaal), Marion Alecian (ARAU), Martine Labeye (Secrétaire UWA – Past Président (2015-2017) Conseil National de l’Ordre des Architectes), Mikaël Van Eeckhoudt (Fietsersbond), Oliver Kozak (EU Cycling Group), Peter Vermeulen (Ringland), Pierre Courbe (Inter-Environnement Wallonie), Pierre Donnier (Les Chercheurs d’air), Raf Pauly & Tim Cassiers, (BRAL – Citizens Action Brussels), Roel De Cleen & Koen Van Wonterghem (Ouders van Verongelukte Kinderen – SAVE), Roeland Dudal (Architecture Workroom Brussels), Sabine Miedema (Kind & Samenleving), Sofie De Caigny (Vlaams Architectuurinstituut), Steven Clays (Trage Wegen), Tom Dhollander (Voetgangersbeweging), Xavier Tackoen (Espaces-Mobilités), Wiet Van Daele & Kadri Soova (Heroes for Zero), Wout Baert (Fietsberaad Vlaanderen).

Universitaires : Aniss M. Mezoued (Brussels Studies Institute et UCLouvain), Bas de Geus (Vrije Universiteit Brussel – MFYS – MOBI), Bas van Heur (Vrije Universiteit Brussel – Cosmopolis Centre for Urban Research), Benoit Moritz (Université Libre de Bruxelles, Metrolab.Brussels), Cathy Macharis (Vrije Universiteit Brussel-Onderzoeksgroep MOBI), Dag Boutsen (KU Leuven, Faculteit Architectuur), Dirk Lauwers (UAntwerpen – Research Group for Urban Development), Eric Cornelis (Institut Namurois des Systèmes Complexes, Groupe de Recherche sur les Transports, UNamur), Eric Corijn (Vrije Universiteit Brussel – Cosmopolis Centre for Urban Research), Frédéric Dobruszkes (Université libre de Bruxelles & FNRS), Georges Allaert (emeritus gewoon hoogleraar UGent), Hans Leinfelder (KU Leuven, Faculteit Architectuur), Hilde Heynen (KU Leuven, Faculteit Architectuur), Jacques Teller (Université de Liège, LEMA), Jean-Philippe De Visscher (UCLouvain), Kobe Boussauw (Vrije Universiteit Brussel – Cosmopolis Centre for Urban Research), Kris Peeters (PXL Hasselt), Lieven De Cauter (KU Leuven & RITCS), Luce Beeckmans (Universiteit Gent – postdoctoraal onderzoeker FWO), Maarten Van Acker (UAntwerpen – Onderzoeksgroep voor Stadsontwikkeling), Maarten Van Den Driessche (UGent – Vakgroep Architectuur en Stedenbouw), Mario Cools (Université de Liège, LEMA), Marlies De Munck (UAntwerpen, Filter Café Filtré Antwerpen), Michel Hubert (Université Saint-Louis – Bruxelles, Université libre de Bruxelles), Nathalie Roussel (UAntwerpen en Antwerp HeArts), Nicola da Schio (Vrije Universiteit Brussel, Cosmopolis Centre for Urban Research), Pascal De Decker (KU Leuven, Faculteit Architectuur), Pascal Gielen (UAntwerpen – ARIA – CCQO), Pieter Van den Broeck (KU Leuven, Research Unit Planning & Development), Pierre Vanderstraeten (UCLouvain – Faculté d’architecture, d’ingénierie architecturale, d’urbanisme LOCI), Pieter Uyttenhove (Universiteit Gent – Vakgroep Architectuur en Stedenbouw), Willy Miermans (UHasselt, Instituut voor Mobiliteit).

Par Annekatrien Verdickt (Mobiliteitspersoonlijkheid 2018, Architectuurplatform, Filter Café Atelier), Gideon Boie (KULeuven, Faculté d’Architecture) et Jens Aerts (Vlaamse vereniging van Ruimte en Planning, ISOCARP)*

Ce texte a été publié simultanément par De Standaard et The Bulletin.

Tags: Corona, Français, Verkeer, Vlaams Bouwmeester

Categories: Urban planning

Type: Article

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