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Le complot du maître architecte

Gideon Boie


02/05/2019, A+

Image: Paoletta Holst

« Je pense qu’elles [Anuna De Wever et Kyra Gantois] ont vu ce dont je parle depuis ces deux dernières années », remarquait finement le Vlaams Bouwmeester Leo Van Broeck dans De afspraak (31/01/2019), émission de la chaîne flamande Canvas. Non, l’adhésion à Youth4Climate et au mouvement des grèves d’étudiants n’était en aucun cas de l’opportunisme, mais le résultat d’un processus. Plus que les maîtres-architectes précédents, Leo Van Broeck a élevé la durabilité, la biodiversité et le réchauffement climatique au statut de thèmes centraux de la qualité architecturale.

Mais l’émission De afspraak a tout de même quelque peu décontenancé Leo Van Broeck. Le docteur en philosophie Patrick Loobuyck, bien que trouvant la collaboration entre le Bouwmeester et les étudiants grévistes positive, ne jurait que par la « primauté du politique ». Ce point de vue – que le ministre-président Geert Bourgeois a baptisé « la grandeur du politique » – est partagé depuis des années par la NV-A afin d’introduire une hiérarchie claire dans la prise de décisions entre le travail préparatoire des instances administratives et la décision finale du pouvoir exécutif.

Dans le cadre du débat sur le climat, la « primauté du politique » signifie que les experts sont libres de proposer leur savoir scientifique, mais qu’au final, ils doivent s’incliner devant le pouvoir exécutif. C’est un argument étrange, vu que les « brosseurs du climat » ont en principale ligne de mire les ministres qui commandent des rapports scientifiques à la pelle, pour ensuite décider… de ne rien décider. Les marches pour le climat sont donc une critique de la primauté du politique et de l’inertie qu’elle génère dans le cadre d’une question aussi urgente.

Leo Van Broeck, mal à l’aise, s’enfonça dans son fauteuil tout en ne jurant que par la science. Résultat : un dialogue de sourds. Le Bouwmeester a cependant omis de dire que son soutien à Anuna De Wever et Kyra Gantois par un panel d’experts est probablement beaucoup plus politique que tout le baratin politique réuni.

La main tendue de Van Broeck a donné une voix à un groupe dont le quidam pensait qu’il n’avait rien à dire, voire qu’il n’arrivait même pas à articuler une parole sensée. « Range ta chambre. Apprends à replier ta tente. » Les enfants de choeur du pouvoir se sont révélés de véritables trolls d’Internet. « Allez plutôt réviser vos cours de maths et de physique », avait clamé avec condescendance le bourgmestre d’Anvers. Face à un tel cynisme, le soutien du Vlaams Bouwmeester était un geste éminemment démocratique et émancipatoire.

La seconde raison faisant du soutien du Bouwmeester un geste politique est la focalisation du débat sur le climat. On ne peut pas simplement continuer à pérorer sur la lutte contre les émissions de co2 et se taire à propos du schéma d’urbanisation en Flandre. En résumé, le discours du Bouwmeester affirme que la crise climatique est une crise du système. Les fermettes bien isolées aux toitures couvertes de panneaux solaires ne vont pas sauver le climat. Opérer une transition durable de l’habitat constitue le vrai défi.

Dans le film Plannen voor plaats de Nic Balthazar, se joue une réception rassemblant des promoteurs et des agents immobiliers au cours de laquelle un homme vêtu d’un costume sur mesure vante avec enthousiasme et passion l’exemple des « Baugenossenschaften » à Zurich. L’optimisme est contagieux, tout en sachant que le marché de la construction n’est pas précisément un pionnier dans les solutions d’habitat innovantes. Quoi qu’il en soit, le débat politique est désormais ouvert quant à savoir qui sera le moteur des solutions climatiques.

Au sein des discussions sur le climat, le rôle de l’architecte est lui aussi politiquement chargé. Le Vlaams Bouwmeester a joué un rôle historique pour ce qui est de couper le cordon entre les architectes et les partis politiques. C’est ce qu’on a appelé la dépolitisation de l’architecture. Entre-temps, une chose est sûre : l’Open Oproep ne va pas sauver le climat. Aujourd’hui, le Bouwmeester passe à la vitesse supérieure : peser sur la gestion en politisant l’architecture dans le cadre de la transition durable du parc immobilier.

Quelqu’un a parlé de primauté du politique ? Outre la collaboration entre Leo Van Broeck et Youth4Climate, qui est politique, c’est tout le fonctionnement du Vlaams Bouwmeester qui nous immerge dans la politique.

 

Article publié dans A+277, p. 8

Tags: Français, Vlaams Bouwmeester

Categories: Architecture

Type: Article

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