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Ecopolitique à Bruxelles: Bas Smets et la Biennale du Paysage Urbain de Bruxelles
Gideon Boie
06/10/2016, A+
La première Brussels Urban Landscape Biennial est bien là. La biennale veut contribuer à la prise de conscience que « le paysage s’est imposé comme l’un des principaux facteurs de reliance de l’environnement urbain ». Une exposition modeste, mais dense à BOZAR. Les visites dans les jardins privés et l’ouverture récente du nouveau parc de la Senne en sont le parfait coup d’envoi.
Dans l’exposition « L’invention du paysage : une histoire continue », l’architecte paysager Bas Smets fait défiler l’histoire du paysage en s’appuyant sur cinq expressions artistiques. Chaque partie a été mise sur pied en collaboration avec les co-commissaires d’instituts d’art renommés, universités, cinéastes… sans oublier les services d’aménagement. Ces derniers font tache dans le paysage – mais commençons par le début.
À l’aide de quelques ‘tableaux’ est illustré comment le paysage est arrivé à occuper le premier plan. Dans ‘Vierge à l’enfant’ (1494) d’après un suiveur de Rogier van der Weyden, une fenêtre donne sur un paysage lointain, peint dans un style tout différent. Ensuite, nous voyons dans ‘Paysage avec repos pendant la fuite en Égypte’ de Joachim Patinir (16e siècle) comment le thème religieux devient un thème mineur sur fond de paysage époustouflant. Enfin, nous observons dans le ‘Paysage d’Hiver avec trappe aux oiseaux’ de Pieter Breugel l’Ancien (1565) comment le paysage avec toutes ses activités humaines de ce bas-monde devient le sujet principal – et le tableau devient une fenêtre sur le monde.
Un certain nombre de ‘pièces’ de la Bibliothèque royale indiquent un glissement de la représentation fictive de la réalité vers une inventorisation minutieuse. Ainsi, quelques pièces affichent des représentations plutôt surréalistes : Bruges dans un paysage montagneux (Sebastian Münster, 1550-1572) ou le ‘Leo Belgicus’ (1586-1588) où les Pays-Bas sont représentés comme le lion aux griffes. Ce n’est qu’à partir de la carte de Bruxelles (1558-1975) de Jacob Van Deventer que la cartographie se manifestera comme un instrument pratique, utile et précis.
Le changement du paysage à travers le siècle dernier est montré à travers la ‘photographie’. En 1980 Georges Charlier entreprit une œuvre originale dans laquelle il photographia à nouveau des images tirées de l’atlas photographique ‘Les Aspects de la végétation en Belgique’ (réalisé entre 1908 en 1912) en adoptant plus ou moins le même point de vue. L’exercice de Charlier fut repris par Jan Kempenaers en 2004 et par Michiel De Cleene en 2014. Il est frappant de constater que Charlier était surtout motivé par l’appauvrissement de la biodiversité et que Kempenaers/De Cleene avaient reçu l’ordre (du VAi) de visualiser le processus de changement du paysage.
Au cinéma il devient possible de saisir la dimension temporelle du paysage en une seule image. On remarquera les images cinématographiques ayant pour thème le même chemin provincial. Dans ‘Carlo’ le cinéaste Michaël R. Roskam capte le temps dans un cadre statique à l’aide du balancement des arbres ou des oiseaux qui passent, tandis que le cinéaste Bouli Lanners montre dans ‘Eldorado’ une image en mouvement où une voiture passe à toute vitesse sur fond de paysage immobile.
Le plus étonnant nous est réservé par le thème de ‘l’architecture paysagère’. Nous voyons une recherche conceptuelle réalisée par le Bureau Bas Smets à la demande du Vlaams Bouwmeester, du maître-architecte bruxellois et quelques autres services d’aménagement ‘régionaux’. Cinq cartes analysent le paysage urbain de Bruxelles comme un « substrat qui détermine la forme de la ville de manière contraignante ».
À première vue, l’idée ne semble pas nouvelle. De toute évidence, la vallée de la Senne est une structure principale dans le développement urbain de Bruxelles – qui suit clairement la liaison ferroviaire nord-sud. Mais Bas Smets va plus loin et enregistre méticuleusement le réseau régional de ruisseaux et vallées secondaires avec e.a. la Maalbeek, la Molenbeek et la Woluwe. Le maillage fin de la structure hydrographique permet d’imaginer Bruxelles comme un ensemble. L’eau doit être retenue dans les vallées encore avant qu’elle ne s’écoule par la Senne vers l’Escaut.
Plus important encore : le changement d’échelle adopté par la recherche conceptuelle de Bas Smets. L’architecture paysagère à Bruxelles est familiarisée avec l’aménagement de parcs (avec e.a. Victor Besme au 19e siècle) et les jardins privés (e.a. René Pechere au 20e siècle). Contrairement à cela, les pièces à BOZAR présentent le paysage urbain comme une nouvelle narration afin de penser le développement urbain bruxellois dans la cohérence. D’ailleurs, le plus grand avantage politique du paysage se trouve peut-être là. Bruxelles est aujourd’hui encore toujours administrée par 19 bourgmestres au pouvoir en apparence souvent plus important que celui des ministres régionaux. Les plans de Bas Smets omettent délibérément de tenir compte des frontières administratives des gouvernements locaux. Les dessins en noir et blanc semblent aussi souligner cette vérité apolitique du paysage – en contraste avec l’éternelle querelle autour des couleurs rouge-vert-bleu sur les plans régionaux d’aménagement.
L’usage du paysage comme instrument de gestion apolitique n’est pourtant pas sans poser problème. C’est ce qui s’est avéré lors du discours inaugural de Bas Smets où il mit en avant de manière plutôt opportuniste quelques-uns de ses propres projets à Bruxelles – e.a. le parc Tour & Taxis (BBS185) – en les désignant comme un pilier pour un paysage urbain durable et résiliant. Chose frappante : la fonction du parc Tour & Taxis au sein des projets de construction mégalomanes ne fut pas commentée. De même, pas un mot sur les problèmes de cohabitation dans les quartiers voisins ni sur les plans du promoteur immobilier Extensa qui souhaite réserver le parc aux nouveaux habitants. Rien sur ParckFarm – alors que les deux parcs se prolongent.
« La patience est une vertu dans l’architecture paysagère », affirmait Bas Smets dans son discours. La naïveté est sans doute une deuxième belle vertu. La présentation du paysage bruxellois comme « une espèce de métabolisme autonome » engloutit deux autres substrats sur lesquels se bâtit une société : les réalités économique et sociologique. Certes, le paysage urbain est un ensemble transhistorique qui requiert un savoir-faire technique approprié, mais reste la question fondamentale : qui développe le paysage et pour quoi faire ? Aux yeux de l’architecte paysager, il semble plus facile de faire collaborer les 19 communes de Bruxelles que de penser de manière cohérente les trois écologies de Felix Guattari – nature, société et individu.
Publié à A+ Architecture in Belgium
Categories: Architecture
Type: Article